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Blogue de Hélène Arsenault


jeudi 28 novembre 2013

Herland de Charlotte Perkins Gilman

J’ai déjà parlé ici du cours sur les classiques de la science-fiction et du fantastique/fantasy auquel je suis inscrite depuis l’été. Puisque j’ai manqué de temps pour les lectures obligatoires, je me suis réinscrite à l’automne. Les lectures me fascinent de plus en plus. Ainsi, je viens de découvrir Charlotte Perkins Gilman et son roman Herland, que l’on nous présente comme possiblement le premier ouvrage féministe de la science-fiction, paru en 1915 dans un journal de type « Pulp fiction » puis réédité. Il s'agit d'un roman utopiste qui remet en cause la façon dont la société nous façonne, hommes comme femmes, dans un rôle donné.

Ce roman (dont je n’ai pas trouvé la traduction) décrit les aventures de trois jeunes hommes qui partent à la découverte de ce qu’ils appellent « Herland », littéralement la « Terre des femmes ». Intrigués par les légendes, ils survolent par avion une vallée complètement isolée du reste du monde, où ils se posent pour faire connaissance avec les habitantes. Chacun spécule sur ce qu’ils y trouveront, s’il s’agit bien d’un monde strictement habité par des femmes, bien qu’ils n’y croient pas totalement. Comment un groupe de femmes, ce sexe faible, pourrait-il survivre sans mâles pour leur dire quoi faire? Elles doivent passer leurs journées à se crêper le chignon!

Bien sûr, leur déconfiture arrive bien assez tôt dans le récit d’une rare intelligence, surtout considérant l’époque. On y découvre non seulement une société strictement féminine, qui s’est développée par obligation et non par choix, mais une communauté utopiste vivant retranchée du monde, en autarcie. Au fil du récit, nous apprenons comment, il y a 2000 ans, la vallée s’est refermée sur elle-même suite à un tremblement de terre. Les hommes étant presque tous partis à la guerre, les seuls représentants de la gent masculine qui restaient étant des esclaves. Ils se sont rapidement rebellés, et furent tués par ces pauvres femmes sans défense.

Ces survivantes croyaient faire face à l’annihilation, mais un jour l’une d’entre elles est devenue enceinte, par un curieux phénomène de pathogenèse (qui existe effectivement dans la nature). L’Immaculée Conception. Cette mère a engendré cinq filles, elles aussi capables de pathogenèse, et ainsi la communauté s’est reproduite. Étant donné que le milieu de vie comportait d’importantes limites physiques, ces matriarches en sont venues à contrôler les naissances et à optimiser chaque recoin de leur terre pour la rendre habitable à long terme pour les générations futures.

Voilà toute la beauté de cette histoire. Charlotte Perkins Gilman décrit une société qui valorise tant la maternité et les générations à venir, que chaque geste posé l’est par amour pour eux. « On n’hérite pas de la terre de nos parents, on l’emprunte à nos enfants », disait St-Exupéry, selon certaines sources, d’autres citent un grand chef indien, j’ignore lequel a raison.

Dans ce milieu matriarcal, l’enfant se trouve au centre de tout, aussi l’environnement prime, l’enseignement consiste en un jeu perpétuel auquel on accorde la plus grande réflexion. Grâce à cet enseignement, on découvre les talents et intérêts de ces enfants, qui ne s’en portent que mieux. Puisqu’il n’y a pas de sexualité implicite à cette société de femmes (pas lesbiennes non plus), elles ne forment pas non plus de partenariat avec une seule personne, mais partagent leur existence, leur joie et leur amour avec toutes.

Les trois visiteurs en prennent pour leur rhume, surtout le plus macho des trois qui possède des idées très arrêtées sur ce qu’il conçoit comme le rôle de la femme, et la fonction de l’homme en relation avec son épouse. Une fois que l’on retranche ces rôles artificiels de l’équation, il ne reste plus grand-chose de ce phallocrate. Les autres s’en sortent à peine mieux. Un deuxième, au contraire du premier, idéalise la femme, la place sur un piédestal, et la traite comme un objet précieux à protéger. Ces femmes travaillent de leurs mains, réfléchissent mieux que ces garçons et possèdent une rare sagesse, aussi elles n’apprécient pas le traitement. Le troisième, quant à lui, le narrateur, est un sociologue avisé, qui préfère observer et consent à considérer ces femmes comme des personnes à part entière, égales à l’homme en tout point. Lui arrive à former une relation d’amour avec l’une d’entre elles, une relation basée sur l’admiration mutuelle et le respect.


À mon avis, c’est une œuvre magistrale, non seulement d’un point de vue féministe, mais bien sociétal. Beaucoup a changé dans nos perceptions depuis que ce livre a été écrit, il y a plus de cent ans, mais certaines choses demeurent. Cet ouvrage me rappelle qu’il est facile de se laisser façonner par le regard des autres et de s’oublier dans le processus. Aussi qu’au final, les hommes comme les femmes ont besoin d’un ou d’une partenaire avec qui tout partager, dans le respect et l’admiration, et à ce titre, Herland est toujours d’actualité.  

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